All delighted people

Revoir Ophélia m’a foutu un coup. Je n’étais pas prêt et en même temps, peut-on seulement être prêt à ça ? Surement pas alors que je voulais l’épouser. Elle m’a laissé seul avec cette bague de fiançailles qui devait être le symbole d’une vie entière a deux et trop de questions. Sa lettre a été le coup de poignard dans mes certitudes sur ces deux ans de vie de couple. J’ai mis des mois et des mois a me remettre, oscillant entre l’espoir, la colère et le déni. C’est avec l’espoir d’avoir un peu de paix en prenant un nouveau départ loin de tout ce qui me rappelait cette femme qui m’avait jeté sans un regard en arrière que j’etais venu a Bar Harbor. Pour le coup, c’était pas une réussite.

Sauf que le passé n’est jamais bien loin. Dire que je l’avais cru morte, que je l’avais cherchée partout a Los Angeles, et qu’il aura fallu un simple bobo pour la retrouver a l’autre bout du monde. J’ai mal, et je ne parle pas des sutures. J’ai besoin de m’anesthésier pour oublier tout ce passé que je viens de me reprendre en pleine gueule, c’est aussi pour ca que je suis ici, dans se bar, a une heure un peu indue et depuis un certain temps.


« La même chose s’il vous plait ! »


Malgré tout ce que je viens de me prendre, ma voix est a peine pâteuse. Je vois le regard du barman qui hésite et soupire avant de sortir mes clés de moto et lui tendre.


« Je vais pas conduire ce soir, M’sieur, je vais rentrer en taxi… du coup, je peux avoir la même chose ? Vous savez quoi, filez la bouteille, ca va être plus rapide… »


Il ramasse les clés, soupire a son tour avant d’aller chercher la bouteille de whisky. J’en profite pour regarder mon téléphone. Je sais que j’aurais surement dû appeler Tsu, lui demander de venir ici et lui poser les questions qui me font mal, sauf que je n’en ai pas eu envie. Savait-il qu’elle était là ? Le contraire me semble impossible et je me sens trahi. Je ne veux pas qu’il me confirme ce que je sais déjà où me mente. C’est d’autant plus moche que moi aussi je lui ai menti. La bouteille apparait presque devant moi sur le comptoir.

« Merci »

Je la prends pour me remplir le verre plus que nécessaire, avisant qu’il y a un autre homme a coté de moi a qui le barman est en train de prendre les clés en grognant. Je l’interpelle avec toute la discrétion dont je suis capable dans mon état:

« Hey ! Si tu me dis pourquoi tu bois, toi, bah… je te serre un verre ! »

Je lui montre la bouteille dans ma main. Un hibiki 15 ans que j’ai déjà bien entamée.

« Et fais pas ton timide, je déteste boire seul et vue que ca fait même pas 2 semaines que je suis ici et que mon seul pote dans le coin m’a surement bien baisé… tu sais quoi, on s’en fout, apporte ton verre et dis moi ce qu’un endroit comme toi fait dans un mec comme ici. »


Oui, c’est pas la première bouteille dans laquelle j’ai commencé a taper. Mais mon père disait toujours, tant qu’on ne boit pas seul ou avant midi, ca reste raisonnable.

D’un œil fatigué par tout ce que j’ai bu, je détaille mon voisin de comptoir alors que je lui propose de partager ma bouteille. Tant qu’il est seul, c’est que je peux encore boire. A croire que c’est n’est pas la première fois que je bois à cause d’elle. Quand il me sourit, malgré sa réponse pas très claires, c’est avec un air nigaud que j’en fait de même.

« T’es un bon toi… »

Je lui remplis son verre à ras bord de whisky. Après tout, on nous dit toujours de mesurer avec son doigt la hauteur de l’alcool dans le verre, mais on ne dit jamais dans quel sens mettre le fameux doigt. Quand on y pense bien, je tiens surement un sujet mais ma capacité de concentration s’évanouit rapidement quand mon voisin évoque la raison de sa présence ici. C’est avec des grands gestes maladroits que je m’exclame !

« J’en étais sur !! Toutes les mêmes !! Tu sais quoi bro… c’est la même quoi toi pour moi, enfin, pas ex hein, du moins, je ne pense pas… mais il m’arrive presque le truc… t’y crois toi ? »

Me demander ce que je pense alors que tenir sur mon tabouret semble déjà un exploit est il judicieux ? Évidemment que non parce que la vérité est que quand je suis bourré, j’ai un avis sur tout et surtout un avis. C’est avec conviction, a défaut d’autres choses, que je lui assure :

« Ce que j’en pense… c’est qu’elle te mérite pas ! Tu devrais plaindre le connard qui a pris ta place… parce qu’elle lui piétinera l’cœur aussi… pour sur… je te le dis !! TOUTES LES MEMES !! Au moins elle vit pas là ? je veux dire pas dans le bar… enfin si a Bar Harbor mais c’est pas le bar ou on boit, enfin, tu m’suis quoi…»

Et il aurait bien du mérite s’il y arrivait. J’essaye de boire mon verre mais j’ai du mal a trouver ma bouche, heureusement, je suis encore assez alerte pour rectifier le tir et bien descendre le niveau du liquide ambré qui me brule la gorge avant de reposer mon verre un peu trop violemment sur le comptoir. Même s’il ne m’a rien demander, je me sens d’humeur généreuse ce soir et j’ai envie de lui partager mon histoire, comme si ça pouvait être intéressant. Je continue donc de gesticuler, en parlant, manquant a plusieurs reprises de basculer.

« Moi… je sais même pas s’il y avait un autre mec… elle m’a obligé a mentir a mon meilleur pote pour elle !! Tu te rends compte… A MON MEILLEUR POTE !!! Et puis, elle s’est barrée ensuite, comme ça, sans raison. En me laissant comme un con avec sa bague de fiançailles et juste une lettre… UNE PUTAIN DE LETTRE… t’imagine ca possible toi ? Un pauvre bout de papier avec 0 explication… je serais un connard je comprendrais mais même pas putain… même pas !! En plus qui envoi encore des lettres de nos jours…»

Je louche sur mon verre en me demandant s’il y a pas eu une évaporation.


« Bro, finis ton verre que je te réserve. Si on boit pas seul, on peut pas etre bourré, alors on va faire ca ensemble comme ça, ca ira bien. Pis tu mérites le meilleur, je te le dis moi ... D’ailleurs tu ne m’as pas dit, ca fait longtemps ton ex ? »