All delighted people

J’avais rendez-vous avec ma sœur aînée dans un restaurant de la ville. Des retrouvailles qui me faisaient du bien en cette période de grand changement. Même si je n’étais pas hyper proche de Teresa, la savoir à Bar Harbor était un peu réconfortant quelque part. Je la vis assise à une table, à pianoter sur son mac. Sans doute était-elle entrain de plancher sur un énième projet de travail. Si nous étions deux différentes l’une de l’autre, il y avait un tas de points communs que nous partagions bien malgré nous.

Je m’approchai de la table, Teresa referma aussitôt son ordinateur portable en me voyant. Je rendis l’étreinte de ma sœur avec une tendresse quelque peu dissimulée. J’appréciais de pouvoir passé un petit moment avec elle aujourd’hui, loin du tumulte de nos vies respectives.

« Je suis contente de te voir ! » lui dis-je avec un large sourire.

Je me dévêtis de ma veste d’un grand couturier et la posai délicatement sur le rebord de ma chaise avant d’y prendre place. Mon sac à main fut glisser sous la table pour ne pas me gêner ou encombrer le passage d’un serveur.

« Effectivement, ça fait un moment. Le temps passe si vite. Je suis contente que tu m’es proposée qu’on se voit ! Et pour ce qui est de Londres, je n’ai pas prévu d’y retourner pour le moment. J’aimerais prendre mes marques à Bar Harbor avant de partir en vadrouille en Europe. »

Pourtant qu’est-ce que je mourrais d’envie d’y retourner ! Je changeais de vie et j’avais aussi une irrépressible envie de refaire ma garde-robe pour ce nouveau départ. Mais était-ce bien raisonnable ? Sans doute pas. Alors je me refrénais un peu sur mes envies. Pour autant, je ne restais pas à l’abris d’un soudain changement d’avis à la dernière minute. Un serveur s’approcha avec les cartes et nous les donna pour qu’on fasse notre choix. Je le remerciai d’un sourire avant de répondre à la question de ma sœur.

« J’ai commencé mon nouveau job à la mairie ! C’est bien moins mouvementé qu’à Washington mais je crois que je fais un bon choix en venant m’installer ici. Cela faisait tellement longtemps que je n’avais pas revu Bar Harbor … »

Une pointe de nostalgie envahit ma voix. Quelques regrets s’y mêlèrent également. J’avais laissé trop de temps filer dans ma vie, du temps que jamais je ne pourrais malheureusement rattraper.

« … Il va falloir que tu me donnes toutes les meilleures adresses du coin ! » repris-je en chassant les souvenirs qui commençaient à m’envahir. « Et toi, comment ça se passe en ce moment ? Tu sembles un peu … préoccupée ? »

Je mentirais si je disais que la présence de ma sœur ne m’avait pas manqué. Nous avions beau être comme chiens et chats, malgré tout elle était celle qui me ressemblait le plus à bien des égards. Même si je ne l’avouerais qu’à demi-mot, j’étais heureuse de se rapprochement géographique entre nous. Un rapprochement qui changerait peut-être la dynamique de nos relations qui sait.

Je comptais sur Teresa pour m’indiquer les bons plans de la ville, les coins à visiter. Elle m’avoua néanmoins qu’elle ne devait pas si bien connaître le coin que je le pensais. Ses déplacements professionnels lui avaient pris beaucoup de temps, du temps qui n’avait pas été consacré à la découverte de la ville dans laquelle elle résidait. Mais cela changerait à l’avenir, mon aînée m’avoua vouloir lever le pied. J’haussai les sourcils, surprise par cette révélation.

Je dû la dévisager un peu trop lorsqu’elle commanda ensuite son repas car elle se justifia comme n’ayant pas manger le soir d’avant. Il y avait quelque chose qui me chiffonnait. Comme si le comportement de Teresa pouvait s’expliquer avec un élément que je n’avais pas en ma possession. Je connaissais à la fois si peu et si bien ma sœur, que je n’arrivais pas à savoir ce qui me rendait suspicieuse. Je décidai de lui demander si elle était préoccupée. Sa réponse, comme bien trop souvent, trouva sa source dans des tensions au sein de son couple.

« Pourquoi vous ne divorcez pas ? »

Oui peut-être avais-je manqué de tact en posant cette question de but en blanc. Mais à quoi bon mettre des formes ? Je n’avais jamais trop bien compris pourquoi Teresa s’obstinait à rester coincée dans son mariage. Je n’avais jamais trop compris sa relation avec son mari, mais je n’y connaissais pas grand-chose en relation de couple alors je ne pouvais pas me permettre de juger.

« J’ai souvent l’impression que ça ne va pas entre vous, alors au lieu de vous faire du mal l’un l’autre, pourquoi ne pas vous séparez ? Je suis peut-être indiscrète et peut-être que je me mêle de ce qui ne me regarde pas … mais je ne comprends pas trop pourquoi rester dans une situation qui semble ne pas vous rendre si heureux l’un, l’autre. »

Je m’inquiétais pour ma sœur. Elle était une femme indépendante qui s’était mariée jeune, bien trop jeune à mon goût. Heureusement, elle avait décidé de continuer à mener sa carrière et ne s’était pas décidée à se contenter d’un rôle d’épouse.

Je comprenais pourquoi Teresa restait dans cette situation compliquée. Je ne partageais pas pour autant le choix qu’elle faisait. En l’entendant parler des enfants de son mari, de l’importance qu’ils avaient pour elle, je réalisais à quel point rester était plus qu’une question de confort ou d’habitude. Il y avait beaucoup d’amour et elle ne voulait pas briser ces liens qu’elle avait construit avec ces beaux-enfants au fil des années.

« Je vois … Après ils sont grands et c’est aussi à eux de savoir se positionner et rester objectifs. Je comprends en tout cas. Sache que si tu as besoin, je suis là maintenant ! Tu peux passer à la maison quand tu as besoin de t’évader un peu. »

Mon ton était plus doux, se voulant empathique quant à ses décisions. Teresa ramena astucieusement ma vie sentimentale sur le tapis. Je pris une profonde inspiration en grimaçant légèrement.

« Un grand désert ! Mais je peux m’en prendre qu’à moi-même. J’ai privilégié ma carrière à ma vie personnelle et c’est ainsi qu’à quarante ans passés je me retrouve seule. »

Ma voix laissa transparaitre mes regrets que je tentais aujourd’hui de rattraper. Je voulais que ce nouveau départ que je m’offrais soit fait de la meilleure des façons. Alors que j’allais aborder le sujet Leopold, le serveur arriva avec nos assiettes. Pour ma part, j’avais été audacieuse avec une assiette de spaghettis malgré ma tenue claire.

« Bon appétit à toi aussi ! »

Je pris mon verre d’eau, en bu une petite gorgée avant de m’attaquer à mon assiette avec gourmandise. Entre deux bouchées, je glissai le sujet que je voulais aborder avec ma sœur. Je ne lui parlais que très rarement de ma vie sentimentale, d’ailleurs elle n’avait pas su réellement le déclencheur qui m’avais décidé à changer de vie.

« J’ai revu Leopold. Je voulais pas qu’il me croise par hasard en ville, alors j’ai décidé d’aller le voir de moi-même. »

Je ne savais pas réellement ce que savais ma sœur de notre histoire, de pourquoi notre couple avait volé en éclats il y a de ça vingt ans. Je ne lui avais jamais trop parlé de ce qui s’était passé. Un peu par honte sans doute, mais aussi parce que cela avait été bien plus douloureux que je n’avais voulu l’admettre. J’avais gardé la face, me concentrant dans le travail et me convaincant que ça n’avait été qu’une amourette de jeunesse … seulement c’était bien plus profond. En habitant à Bar Harbor, elle avait peut-être déniché des infos auprès de Leo sur ce que j’avais fait. Si ça avait été le cas, jamais elle ne m’en avait parlé.

« Il m’arrive de penser que si j’avais été là au retour de Leo après sa mission à l’étranger, ma vie aurait été sans doute bien différente. Peut-être que j’aurais été plus épanouie. » Je lâchais un petit soupir empreint de nostalgie. « Je ne sais pas si j’y suis allé avec un espoir inconscient de retrouver quelque chose de perdu … Peut-être … En attendant je préfère juste me concentrer sur moi-même plutôt que de croire en quelque chose qui n’arrivera sans doute jamais. »

Ces paroles étaient dites à la fois à ma sœur, mais également pour moi-même. Je ne voulais pas me laisser submerger par mes sentiments pour Leo, quel qu’ils soient à l’heure actuelle. Leo m’en voulait énormément et je ne pouvais pas lui en vouloir. En allant le voir, j’avais réouvert une boite fermée il y a bien longtemps. Une boite douloureuse qui contenait des souvenirs et des émotions que chacun de nous avions décidés d’enfouir …

hrpg:

C’était étrange de me confier à mon ainée. Je n’avais pas pour habitude de lui ouvrir mon cœur et de lui dire ce que je ressentais pour elle ou pour quiconque. Mais j’étais là pour faire les choses autrement, je m’étais promis d’agir différemment. Même si c’était étrange, je me disais qu’il était possible que cela nous rapproche quelque part. Je savais que je l’avais profondément blessée en étant pas là aux dernières heures de vie de notre mère. Elle m’en avait toujours voulut pour ça. Les années avaient passées, nous avions assez mûries pour laisser les différents de côté mais ils existaient tout même encore.

Je ne savais pas si elle parlait d’elle quand elle disait que le passé ne s’oublie pas et que des blessures étaient difficilement soignables. Je me doutais que ce message était au sujet de Leo mais je me disais qu’elle s’impliquait aussi dedans.

J’esquissai un sourire face à ses paroles réconfortantes. J’appréciais sa bienveillance et cela flatta mon égo quand elle évoqua ma détermination. Il est vrai que j’avais toujours su rebondir sur mes pieds depuis toujours et que lorsque je voulais quelque chose, je faisais tout pour l’obtenir. « C’est plus difficile que je ne le pensais d’avoir quarante ans. J’ai passé ma trentaine dans une grande sérénité, mais la quarantaine, c’est un cap plus compliqué. » L’horloge biologique notamment qui tournait en moi me mettait une certaine pression. Je n’avais jamais eu comme objectif de vie de fonder une famille avec un mari, une maison et un chien. Mon seul objectif avait été d’accéder à la maison blanche. Finalement, aujourd’hui je me disais que j’aurais peut-être aimé avoir tout ça …

Teresa, d’une voix légèrement hésitante, me dit qu’elle devait m’annoncer quelque chose. Je la regardais intriguée. Son speech sur le miracle de la vie me rendit un peu plus curieuse. Alors que j’allais prendre une bouchée de mes spaghettis, elle lâcha l’information cruciale qu’elle voulait me transmettre. « Je … quoi ? » Je restai un instant sonné par cette nouvelle. Un tourbillon d’émotions contradictoire s’empara de moi. Je sentis mon esprit s’embrumer quelques instants. Je ne savais pas comment réagir. J’avais envie d’être heureuse et à la fois en colère. De la culpabilité face à ces émotions négatives me serra l’estomac. Il fallait que je reprenne le contrôle de moi-même. Je laissai tomber ma fourchette dans mon assiette dans un petit tintement et porta ma main vers ma poitrine en chassant toute émotions négative. « Je … Waouh … C’est une super nouvelle ! Je suis vraiment hyper contente pour toi, enfin pour vous. Je ne crois pas que tu m’ais dit que vous étiez en essai bébé. » Il était possible que ma sœur ne m’en ait pas glissé un mot, comme il était fortement probable que j’ai tout simplement oublié cette information. J’étais pas une très bonne sœur et j’avais tendance à oublier ce qui ne me concernait pas. C’était égoïste, égocentrique, j’en avais conscience. Je me promis de faire plus attention à cela à l’avenir.

« Alors ce repas conséquent n’est pas que dû à un repas sauté ? » lui dis-je avec un sourire et une pointe d’amusement dans la voix. « Je suis vraiment très contente pour vous. C’est merveilleux ! » Mes paroles étaient sincères. Même si j’avais ressenti, si je ressentais toujours une certaine colère, une certaine frustration et sans doute de la jalousie, je me réjouissais de ce bonheur qui arrivait dans la vie de ma sœur. Puis je pensai à sa vie de couple. Un bébé ne devait pas être un pansement sur des problèmes. Est-ce que c’était une bonne chose pour le couple qu’ils étaient ? Je n’osais pas émettre de questionnement à ce sujet pour ne pas briser la petite bulle de bonheur qui s’était formé autour de nous.

Je fis signe au serveur pour lui demander un verre d’alcool, sous prétexte de vouloir fêter la nouvelle. La vraie raison est que j’avais besoin de la digérer. Je payais également un cocktail sans alcool à ma sœur. « Tu es enceinte de combien de mois ? » lui demandai-je avec intérêt. Je n’avais pas remarqué un quelconque changement significatif chez elle. Je me disais qu’elle devait être au début de sa grossesse. Ou peut-être que j’étais tout simplement, encore une fois, une piètre sœur qui ne faisait pas attention aux détails.