All delighted people

Très cher journal...
Cher journal,

Cela fait si longtemps que je n’ai pas pris la peine de venir coucher quelques mots sur tes pages, et pourtant, il y en a tellement a dire. C’est d’autant plus triste qu’au final, c’est toi qui auras été mon plus grand soutien dans les pires moments de ma vie. C’est vrai que depuis 6 ans que je suis a Bar Harbor, mon existence me semble enfin reprendre un chemin plus en phase avec ce que je suis.

Qui aurait cru que la fillette sage et invisible, perdue dans cette jeunesse dorée de Palm Beach, celle qui espérait travailler dans une grande maison d’édition ou dans le journalisme, vienne vivre sur cette petite ile du Maine ? Il faut dire qu’il s’en est passé des choses depuis que ma petite vie bien rangée ne bascule. En fait, c’est drôle, mais a chaque fois que je repense a cette période, ce qui me manque, ce n’est pas la villa de rêve avec vue sur la mer, les faux copains qui viennent plus a la maison pour profiter de la piscine ni cette parodie de parodie de famille parfaite :  C’est juste Arthenais. Malgré comment ca c’est terminé, je l’avais toujours considérée comme ma sœur de cœur.

Des années de complicités entre grandes timides, de fous rires au fonds de la classes, de confidence, de soutiens quand on avait un A- dans notre bulletin ou qu’on espérait encore aller au bal au bras d’une autre personnes que nos frères ou cousins... J’aurais tellement pensée que nous aurions été dans la même fac, que nous aurions vécu non loin l’une de l’autre, que j’aurais été le témoin de son mariage, la marraine de ses enfants. Même 16 ans plus tard, je ne comprends toujours pas ce qui a pu se passer pour en arriver là. Parfois, je me demande si elle pense a moi au moins un peu, elle aussi, et ce qu’elle est devenue. De toute façon, je ne le saurais surement jamais.

Tout a changé à une fête de ses cousins, je n’avais pas envie d’y aller mais j’avais encore moins envie de laisser Athenais y aller seule. Ses cousins étaient comme mes grands frères, des gens qui attirent les problèmes. Je sais qu’ils me voyaient comme une coincée, surement que je le suis encore, mais d’instinct, je sentais que ce n’était pas « un bon endroit ». Sans le savoir on avait alcoolisé mon verre de jus de fruit dès mon arrivée. J’étais déjà très mal a l’aise avec cette soirée, autant dire que ca n’a rien arrangé d’avoir les idées confuses.  Pas la peine de te rappeler que je ne tiens absolument pas l’alcool, je t’ai assez longuement parlé de la 2e fois ou j’ai bu, il n’y aura pas de 3e.

Bref, j’avais la nausée, la tête qui tourne, je titubais parmi des gens qui riraient, a la recherche d’Athenais sans savoir que je ne la rêverais jamais, quand les policiers sont arrivés. Ca a été un moment de panique pour tout le monde sans que je ne sache réagir autrement qu’en pleurant. Un des policiers m’a prise a part après que j’ai vomi sur ses chaussures. Je ne sais plus ce que je lui ai dit, mais je crois que j’ai pas mal répété, surement d’une voix pâteuse, mon inquiétude pour mon amie et que je l’ai supplié de ne pas dire a mes parents que nous étions ici entre deux sanglots.

Il a pris mon nom, mon adresse et m’a raccompagnée a la maison en fin de soirée en me jurant qu’Athenais allait bien. Le lendemain, mon monde avait déjà changé, pas seulement parce que j’avais mal a la tête, mais plus parce que la maison était en effervescence : « la famille d’Athenais voulait tuer la mienne, moi en tête ». Voila ce que mes parents m’ont dit en me bousculant pour que je fasse ma valise. Je te laisse imaginer le départ précipité, les discussions houleuses ainsi que les cris dans la voiture.

J’ai vomi presque tout le long du trajet le premier jour de route, pas seulement a cause des « excès de la veille ».  Mes parents étaient en train de dire qu’ils étaient dans le trafic de drogue, avec ceux d’Athenais, ma mère n’était donc pas comptable, mon père n’était pas banquier et les petits boulots de mes frères n’étaient pas dans l’import-export de meubles. Tu te souviens de la fois ou je me suis rendue malade parce qu’au lycée, j’avais voulu faire ma rebelle en ne triant pas les déchets sur mon plateau a la cantine ? Comment la culpabilité m’avait rongée ? Et bien la, c’était pire !! Mon univers s’écroulait sans que je ne sache que ce n’était pas fini.

Découvrir qu’Athenais m’avait menti, qu’elle m’avait surement trahi aussi, puisque je ne voyais pas comment je pouvais être accusée d’avoir été « une balance » alors que je ne savais rien a été douloureux. Plus que de voir toutes les portes des universités se refermer, d’être entassée avec ma famille dans un minuscule appartement du bronx, de voir mes frères et ma mère s’entêter dans leur bêtise ou devoir entendre a longueur de journée que c’était ma faute.  Au final, il n’aura pas fallu un an pour que je me retrouve seule avec papa. Je crois qu’un de mes frères a fini en prison, maman s’est remariée avec une personne dont je n’accepterais pas un centime tellement c’est évident que son argent est sale. Mon autre frère n’a jamais redonné signe de vie depuis qu’il est parti vivre de son côté. Je l’espère en prison et redoute parfois d’apprendre qu’il a été tué quelque part sans qu’on le sache.

Même si mon niveau scolaire s’en est ressenti, j’ai quand même réussi a décrocher des aides pour faire une formation dans le journalisme, malheureusement, je n’ai pas pu aller jusqu’au bout. Papa a eu du mal a gardé ses emplois, il n’a pas supporté que maman parte et je le soupçonne de me détester car, a ses yeux, je suis responsable de « ce gâchis ». Il a fini par plus chercher son avenir dans les fonds de bouteilles que dans les annonces d’emploi. Il est devenu agri et compliqué a gérer, buvant de plus en plus vite l’argent que je ramenais de mes petits boulots. Je dois multiplier les heures a la supérette du coin et celles pour faire le ménage pour payer le loyer, au détriment du temps passer sur les bancs de ma formation. Je mets 5 ans pour passer ma licence, la suite est trop chaotique pour que je puisse avoir le moindre diplôme.

En fait, sans un coup de pouce de la chance, je crois que ca se serait mal fini. J’ai appris que mon père avait une tante quand un notaire a appelé pour nous signaler son décès. Même si je ne l’ai jamais connu, je bénis encore cette dame qui nous a sauvé avec son héritage : une petite maison de campagne a Bar Harbor, la promesse d’un nouveau départ. Voilà comment je suis arrivée sur cette petit ile à mes 26 ans, avec juste une licence sous cotée en poche, un père alcoolique a gérer mais avec l’espoir que les choses s’arrangent.

Ces 6 années ont passé si vite. J’ai passé un concours pour être maitresse d’école, l’ile n’est pas grande, on est loin des 6000 habitants hors touristes, mais elle a quand même son ecole qui va jusqu’à collège. Je gère une classe double 3eme et 4eme grade.  Le mercredi, j’aide, ponctuellement, a la gazette locale. Quelques articles tout au plus, ca me force a aller vers les gens et quitter ma zone de confort. Ca me fait plaisir de pouvoir écrire en plus d’avoir un peu d’argent en bonus.

Je suis toujours aussi discrète et timide, mais j’aime ma vie telle qu’elle est. Certes, mon père est toujours compliqué, l’alcool lui vaut un grand nombre de soucis de santé et ce n’est pas agréable de vivre avec lui, pour autant, je prends sur moi. Mes petits élèves, mes collègues et aussi, peut être un pompier qui vient souvent a l’école pour des animations m’aide a garder le sourire et me sentir heureuse.

Il se fait tard, tu devras donc attendre un peu pour en savoir plus, surtout sur le pompier. Ca m’a fait plaisir de pouvoir écrire a nouveau, j’espère que je n’attendrais pas 10 ans pour avoir autre choses a te confier. Bonne nuit a toi cher journal.